Cette semaine, les délégués en provenance de l’ensemble des États-Unis se rassemblent à Chicago dans le cadre de la Convention nationale du Parti démocrate (DNC).
D’habitude, la raison d’être des conventions est de réunir les délégués afin qu’ils entérinent la nomination de la personnalité qui portera les couleurs du parti à la prochaine élection présidentielle. Cette fois, cependant, il n’en va pas ainsi : la désignation de Kamala Harris a déjà été confirmée à l’issue d’un vote en ligne des délégués organisé dans les premiers jours du mois d’août.
Quel est le rôle des conventions dans la vie politique américaine ?
Voilà maintenant des années que l’identité des candidats à la présidence, désignés par les primaires, est déjà connue au moment où se tiennent les conventions nationales des deux grands partis. C’est pourquoi ces raouts sont désormais avant tout, pour le Parti démocrate comme pour le Parti républicain, des occasions majeures de bénéficier d’une couverture médiatique maximale. C’est souvent à ce moment-là que les colistiers des candidats sont officiellement présentés au grand public et où les deux personnalités qui formeront le « ticket présidentiel » prennent la pose ensemble pour la première fois.
Les conventions contribuent également à mobiliser les membres et les sympathisants de chacune des deux formations. Elles incitent les militants à s’impliquer dans la campagne, elles renforcent l’unité du parti et, plus important encore peut-être, elles donnent un coup de fouet aux collectes de fonds.
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Ces événements gigantesques, qui durent généralement près d’une semaine, offrent aussi à chacun des partis une possibilité unique de s’adresser au très grand public, y compris aux sympathisants du camp adverse et aux personnes qui hésitent encore sur leur vote à venir. Les discours des candidats à la présidence et à la vice-présidence prononcés dans ce cadre font l’objet d’un examen particulièrement minutieux.
Dès lors, à l’instar des débats entre les candidats à la présidence, les conventions sont des passages obligés qui, parfois, n’ont guère d’impact sur la suite des événements et, parfois, apparaissent comme des séquences politiques d’une importance cruciale. Un discours réussi lors d’une convention peut constituer un tremplin formidable pour la carrière d’un responsable politique. Ainsi, lors de la convention démocrate de 2004, tenue à Boston, la charge de prononcer le discours d’ouverture avait été confiée à un certain Barack Obama, qui n’était alors que sénateur de l’État de l’Illinois. Quatre ans plus tard, il était le candidat du parti à l’élection présidentielle, qu’il allait remporter avant d’être réélu en 2012.
La DNC de cette année diffère des précédentes, avant tout parce que le président sortant et longtemps candidat à sa propre succession Joe Biden a décidé, le mois dernier, de ne pas solliciter un second mandat et de soutenir la candidature de sa vice-présidente Kamala Harris. En outre, cette dernière a déjà révélé qui serait son colistier – Tim Walz – et le duo est déjà entré en campagne.
Après les tensions de ces dernières semaines, les Démocrates doivent à présent afficher leur unité. Et le fait que la meilleure occasion leur en soit donnée par une convention nationale se tenant à Chicago a une vraie résonance politique.
Chicago, une ville très particulière pour le Parti démocrate
La coïncidence n’a échappé à personne : la dernière fois qu’un président démocrate en exercice, Lyndon B. Johnson, a décidé de ne pas se présenter pour un second mandat (en 1968), c’est déjà à Chicago qu’avait eu lieu la DNC lors de laquelle son successeur fut désigné.
Il s’agit à ce jour de la dernière « convention négociée », c’est-à-dire une convention où le candidat à la présidence est désigné par un vote ouvert. Cette convention de 1968 a été pour le parti une expérience traumatisante marquée par des troubles à l’intérieur du rassemblement et par des affrontements entre les manifestants et la police à l’extérieur, dans les rues.
Mais Chicago a également été, pour le parti de l’âne, un lieu d’espoir et de promesses. Après tout, c’est ici qu’Obama, jeune diplômé de Harvard et organisateur communautaire, a commencé sa carrière politique, avant de devenir le candidat à l’élection présidentielle de 2008 à l’issue d’une primaire démocrate très disputée face à Hillary Clinton. À l’époque, malgré les aigreurs nées de la campagne des primaires, le parti avait su rapidement s’unir autour de lui pour mener une campagne couronnée de succès. La convention de 2008 a donc été déterminante pour le parti, car elle a montré sa capacité à rétablir l’unité après une période de discorde.
Il y a quelques semaines à peine, il semblait que la convention de Chicago s’apparenterait à celle de 1968. Mais après d’âpres débats internes sur la candidature de Joe Biden, les Démocrates ont finalement fait bloc autour de leur nouvelle candidate.
Il y aura donc à Chicago cette semaine aussi bien des échos de 1968 que de 2008. Il est essentiel de connaître cette histoire pour comprendre l’état actuel du Parti démocrate.
Les fantômes de 1968
La Convention nationale démocrate de 1968 s’est déroulée à un moment charnière de la guerre dévastatrice que les États-Unis étaient en train de livrer au Vietnam.
En janvier de cette année, l’offensive du Têt avait mis à mal les assurances que Johnson avait données à la nation, à savoir que les États-Unis étaient en position de force et que la fin du conflit était en vue. Soumis à une pression croissante, Johnson fut défié par le candidat anti-guerre Eugene McCarthy lors des primaires démocrates.
La victoire de McCarthy lors des primaires du New Hampshire en mars avait déjà ébranlé le parti. Quatre jours plus tard, Robert F. Kennedy annonçait son entrée en lice. À la fin du mois, Johnson décidait de se retirer.
Parallèlement à ces remous internes, le parti était confronté à des critiques véhémentes provenant de l’extérieur et visant la politique conduite par l’administration démocrate au pouvoir. Le mouvement anti-guerre se recoupait avec les étudiants qui réclamaient un meilleur contrôle de leur vie et de la société américaine, les militants du Black Power déterminés à résister à ce qu’ils considéraient comme une violence raciale institutionnalisée, et un mouvement d’émancipation des femmes en plein essor.
Ces groupes portaient un regard très sévère sur la vie politique américaine et le Parti démocrate du président Lyndon Johnson représentait tout ce que détestaient la plupart de leurs membres.
Cette année marquée par des bouleversements sociaux et une polarisation spectaculaire fut aussi endeuillée par les assassinats de deux des personnalités les plus populaires du pays, Robert Kennedy et Martin Luther King Junior. Après l’assassinat de King en avril, des manifestations et des émeutes ont éclaté dans de nombreuses villes, ébranlant l’ensemble de la nation.
Quelques mois plus tard, lors de la DNC, des manifestants attendaient les délégués à leur arrivée. Le maire de Chicago, Richard Daly, était un leader du Parti démocrate blanchi sous le harnais qui n’avait aucune sympathie pour cette jeunesse qui protestait avec virulence contre la guerre. Il donna à ses policiers l’ordre réprimer les manifestations par la force si elles le jugeaient nécessaire.
Et c’est exactement ce qui s’est passé. Tout au long de la convention, les rues de la ville ont été le théâtre de manifestations et de violences. Les Républicains s’en sont évidemment emparés, assurant que le pays sombrerait dans le chaos si les Démocrates remportaient la présidentielle de novembre.
Pendant ce temps, à l’intérieur de la grande salle de l’International Ampitheatre de Chicago où se déroulait la convention, le parti exposait ses profondes divisions au grand jour, sous le regard de médias qui n’en perdaient pas une miette. Il y eut même des altercations physiques entre participants à la convention.
Fort du soutien de l’establishment du parti, le vice-président Hubert Humphrey a remporté l’investiture, ce qui suscita la colère des militants anti-guerre. Humphrey avait été désigné par les dirigeants du parti alors qu’il n’avait pas participé à la moindre primaire, ce qui a entraîné par la suite des changements dans la manière dont le parti choisissait ses candidats à la présidence.
Dans ce contexte délétère, lors de l’élection présidentielle novembre, Humphrey allait être vaincu par le candidat républicain Richard Nixon.
Les Démocrates de retour dans la « Ville des vents »
De retour à Chicago plus d’un demi-siècle plus tard, les Démocrates espèrent que, cette fois, le scrutin de novembre se soldera par un résultat très différent.
La convention de cette année offrira un tour d’horizon de l’histoire récente du parti : Joe Biden, mais aussi Barack Obama ainsi que Bill et Hillary Clinton s’exprimeront aux côtés de la nouvelle garde incarnée par Kamala Harris et Tim Walz.
Il s’agira sans doute de dresser un tableau respectueux des accomplissements passés du parti et de ses leaders, tout en dessinant une feuille de route pour l’avenir. De ce point de vue, et toutes choses égales par ailleurs, cette convention cherchera à faire écho à l’espoir soulevé par la campagne victorieuse du chicagoan Barack Obama en 2008.
Harris et Walz, qui auront certainement à l’esprit la convention catastrophique de 1968 au cours de laquelle le parti avait affiché à la face du monde son incapacité à présenter une vision réaliste et attirante du futur, feront tout pour exprimer une vision pleine d’entrain et d’espoir contrastant avec la tonalité sombre des discours de leurs rivaux républicains Donald Trump et J.D. Vance.
Hantés par le fiasco de 1968, Harris et ses illustres prédécesseurs qui se succéderont sur la grande scène souligneront avec force l’unité retrouvée du parti. On saura en novembre s’ils auront su convaincre suffisamment de leurs compatriotes…